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à propos de Horacio Quiroga

Par larouge • Quiroga Horacio • Mercredi 15/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1370 fois • Version imprimable

Les malheurs féconds d'Horacio Quiroga
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.06.95
Borges et Bioy Casares ne l'aimaient pas. Pourtant, l'Uruguayen est aujourd'hui considéré comme le créateur de la nouvelle latino-américaine
Si, comme écrivait La Rochefoucauld, « dans l'adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons souvent quelque chose qui ne nous déplaît pas », la vie d'Horacio Quiroga a de quoi nous réjouir : son père se tue d'un coup de fusil ; son beau-père, paralytique, introduit le canon d'un rifle dans sa bouche et réussit à actionner la détente avec son orteil ; son meilleur ami est tué par ses soins alors qu'il lui explique le bon usage d'un pistolet ; sa femme se suicide avec du poison ; en 1937, atteint d'un cancer, il met fin à ses jours, sans pour autant refermer le cycle des tragédies familiales : sa fille se suicidera quelques années plus tard.
Né à Salto Oriental (Uruguay), en 1878, champion cycliste et poète postromantique dans sa j eunesse, Horacio Quiroga accomplit à vingt-deux ans son voyage initiatique à Paris. Il y côtoie Ruben Dario et Manuel Machado, mais quitte la France au bout de trois mois sans en garder un souvenir impérissable : « Croyez-moi, dira-t-il à ses amis, je sui s allé à Paris seulement pour le vélo » ; c'est-à-dire pour participer à une course cycliste. De retour en Amérique, il s'essaie sans succès à plusieurs genres littéraires poésie, théâtre, roman où l'influence de Maupassant, de Kipling et de Poe est tro p flagrante : « Ce fou maudit de Poe me dominait complètement, avouera-t-il ; tous ses livres s'étalaient sur ma table . » En fait, Quiroga trouve sa voie lorsqu'il abandonne Buenos Aires et ses cénacles littéraires.
En 1903, le poète argentin Leopoldo L ugones part dans la région de Misiones (Paraguay) pour y faire une étude sur l'expérience communautaire des jésuites au XVIIe siècle . Quiroga l'accompagne en tant que photographe. Fasciné par la forêt vierge, il décide d'y vivre, achète quelques parcell es de terre à El Chaco, dans le nord de l'Argentine, et devient planteur de coton. Ruiné au bout de quatre ans, il déménage à San Ignacio (Misiones) où, sur 185 hectares, il établit une estancia (exploitation agricole) ; il travaille sans repos de 6 heure s du matin jusqu'au coucher du soleil, dans des conditions infra-humaines. Très exigeant avec les autres, mais d'abord avec lui-même et avec sa famille , Quiroga devient un habitant de plus de San Ignacio. Cette contrée, située en lisière d'une forêt qui s'étend jusqu'à l'Amazone, servait de refuge à toutes sortes d'individus que l'on pourrait, sans risque de se tromper, accuser de bien des méfaits, sauf celui d'être ennuyeux. Comme Juan Brown qui, venu pour visiter les ruines, resta vingt-cinq années su r place, ou le docteur Else que la distillation d'oranges conduisit à confondre sa fille avec un rat ; ou le chimiste Rivet, qui s'éteignit comme une lampe noyée d'alcool, et tant d'autres encore qui manifestèrent des comportements des plus imprévus, Quir oga est un personnage de ses nouvelles : il bâtit deux maisons, construit le canoë pour remonter le terrible Parana, fabrique les chaussures de ses enfants et, conséquent avec ce retour au primitivisme, dans sa cabane perdue dans la jungle, fait même la s age-femme pour la naissance de sa fille.
Voilà en substance la vie d'Horacio Quiroga, « une superstition uruguayenne selon Borges, toujours riche en formules lapidaires : « Il manque d'invention dans ses nouvelles, l'émotion en est absente et la réalis ation est d'une torpeur incomparable. Il a écrit les contes que Kipling avait déjà écrits et beaucoup mieux que lui. » Borges n'a pas été le seul à se tromper sur Quiroga. Selon les critiques de son époque, parmi lesquels Bioy Casares, Quiroga ne sentait pas la matière textuelle et méprisait la pureté syntaxique. Aujourd'hui, il est considéré comme le créateur de la nouvelle latino-américaine et figure parmi les grands dans la littérature mondiale.
Certes, comme l'Argentin Roberto Arlt, Quiroga « écrivait mal ». Ses textes, parfois « incorrects » peuvent donner lieu à de mauvaises compréhensions. Mais, pour lui, l'écriture était au-dessus de la grammaire, sa priorité allant à l'authenticité du récit. « Ne pense pas à tes amis lorsque tu écris. Fais-le c omme si ton histoire n'avait d'intérêt que pour le petit monde de tes personnages, dont tu aurais pu être », écrit-il dans son Manuel du parfait nouvelliste.
Après quelques recueils conventionnels de contes pour enfants, Quiroga applique ses propres pré ceptes dans Contes d'amour, de folie et de mort (1) et, surtout, dans Les Exilés . Ces récits trouvent leur source dans son expérience personnelle, ses impressions, ses observations de la réalité. « Je me sens aussi bien en labourant la terre qu'en écrivan t des histoires », écrit-il . Il n'y a pas de couleur locale ni de réalisme magique ni même de descriptions de la forêt. L'ambiance rude, intense, les angoisses des personnages sombres, taciturnes, sont à peine suggérées.
Mais si sa vie est inséparable d e ses nouvelles, c'est dans Les Exilés que le malheur est le plus présent. Le personnage de la nouvelle intitulée Van Houten est, au fond d'un puits, le spectateur incrédule de sa mort prévisible ; il s'attarde à contempler, avec une certaine fascination, les étincelles d'une mèche de dynamite qui se consume à ses pieds. « Peur ? Bah ! J'avais l'esprit trop occupé par la mèche qui arrivait à sa fin... Non, ce n'était pas de la peur. C'était une question d'attente, rien de plus ; mais une attente de chaque instant : ça y est, je me disais, ça y est... Croyez-moi, je n'avais pas le temps de m'ennuyer. » Joan Pedro et Tirofago, les deux compères des Exilés la nouvelle qui donne son titre au recueil meurent d'épuisement après une interminable errance, alors que les premières maisons de leur village natal se reflètent dans leurs pupilles.
Au-delà de l'anecdote, Quiroga réussit à communiquer, dans ces neuf histoires, le sentiment de la précarité de l'existence, de la vulnérabilité de ce que nous croyons acq uis, de ce que nous croyons posséder. Ce qui, en somme, fit sa vie...
RAMON CHAO
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