Histoire des larmes : Un témoignage
Dans un roman à la fois familial et politique, Alan Pauls publie son éducation sentimentale, marquée par les rêves et la douleur.
Bien qu'argentin, Alain Pauls (né en 1959) revient sur l'histoire du Chili pour mieux parler de son pays. Cet épisode de la chute tragique d'Allende chassé par Pinochet, symbole des bouleversements politiques de l'Amérique latine, est resté dans toutes les mémoires. Et l'on sait que le romancier affectionne d'interroger " le passé ", pour reprendre le titre de son volumineux roman paru en 2003.
Ce court texte (souvent drôle) joue parfaitement de l'ambiguïté de son titre. Histoire des larmes est à la fois histoire intime et panorama historique. Le personnage principal est d'abord un enfant.
Bien qu'aimant jouer à Superman, dès 4 ans, il se dirige vers " la vie intérieure ". Sa sensibilité lui permet d'être, grâce à son " oreille absolue ", le confident idéal, y compris des adultes qui l'entourent. Pourtant, il ne pleure qu'en présence de son père, que ce soit à l'occasion de ses récits et autres confessions, ou d'une scène pathétique quelconque. Là, pleurer lui est un vrai " talent " comme celui de parler en se livrant à l'introspection. Plus tard, comme son héros, qui " succombe à l'éclat criminel des pierres maléfiques ", il va recevoir de plein fouet la douleur qui est " son éducation et sa foi ".
C'est une sorte de scène primitive qui provoque ses larmes muettes, en même temps qu'elle irrigue sa personnalité. Devant la télévision, en septembre 1973, il est stupéfait de ne pouvoir pleurer, alors qu'il contemple la ruine de ses espoirs politiques : le palais de la Moneda brûle à Santiago du Chili. Ce qui le conduit à congédier sa petite amie chilienne, " catholique et de droite "... Plus tard, il tombe amoureux d'une femme qui porte une cicatrice venue des geôles où l'on enfermait les révolutionnaires. Depuis sa rencontre avec un chanteur engagé qu'il méprise pour sa niaiserie, le jeune homme se nourrit en effet de culture marxiste, d'espoir de libération pour les peuples latino-américains. Cependant, cette libération est pour lui plus opiniâtrement en voie de s'accomplir au moyen de l'auto-analyse, à moins qu'elle ne puisse jamais trouver son apaisement. Le roman autobiographique est une plongée en plusieurs longues apnées depuis ce moment fondateur où juché sur son tricycle, costumé en Superman, il parcourt son petit monde, ou traverse, ainsi vêtu, une vitre. Autour de cet épisode, se greffent le tableau des parents séparés, une mère alitée au milieu de ses somnifères, un voisin militaire, séduisant et répugnant à la fois, écho trouble de la dictature argentine, et qui parvient à cacher son jeu, jusqu'à une étonnante et effrayante révélation. Le personnage de Pauls manie et remanie le puzzle de sa jeunesse, en un roman de formation qui paraît ne pouvoir se sublimer. Ainsi, son travail sur soi se ménage un cheminement obsessionnel et confus, rayonnant de digressions et de notations labyrinthiques. Se sent-il coupable de n'avoir pas su pleurer au bon moment ? De n'avoir pu être le super-héros qu'enfant il rêvait de devenir ?
Certains diront qu'Alain Pauls use d'une écriture emberlificotée. D'autres qu'il est plus au près des mouvements de la pensée, des sensations et des sentiments. Sa virtuosité peut irriter, mais si l'on se laisse prendre, la séduction opère. Alain Pauls est-il complaisant, voire grandiloquent, amalgamant au narcissisme et à la porosité de son personnage les thèmes presque obligés du grand roman latino-américain : destin du pays, marxismes et dictatures... Sur des sujets voisins, le Chilien Roberto Bolaño a peut-être plus de simplicité et de grandeur. Malgré les interrogations que peut susciter cette lecture foisonnante, Alain Pauls est un écrivain qui a un univers, poignant et autophage, et qui ne peut laisser indifférent.
Histoire des larmes d'Alan Pauls
Traduit de l'espagnol (Argentine) par Vincent Raynaud, Christian Bourgois, 128 pages, 15 e
Thierry Guinhut
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