Ultimes précisions sur le charme et la lâcheté de Pierre Drieu la Rochelle. Par Victoria Ocampo, sa reine de coeur... Ce qui est étonnant, dans cette évocation, dans ces lettres, c'est l'obstination avec laquelle Victoria souligne que le Drieu fasciste qui mijote dans sa psychologie nocturne est le contraire du «Gilles» - elle nomme ainsi sa face diurne - qui lui extorque une tendresse infinie : «Pourquoi aimes-tu les défauts que tu n'as pas ?» lui demande-t-elle alors que, par provocation, il loue devant elle les «muscles mentaux» de Hitler et de Mussolini. Oui, pourquoi ? Dans ces moments-là, Drieu, en guise de réponse, pleurait sur les robes Poiret de sa maîtresse, puis disparaissait dans quelque établissement de la rue de l'Arcade où, parmi des prostituées, il se sentait enfin innocent. Ce qui est certain, c'est que Victoria - comme Colette, la première épouse, ou Beloukia, la dernière maîtresse - aura, sans cesse, cru pouvoir sauver son futur suicidé. Et c'est ce combat perdu d'avance, mais si noble, qui donne à ce récit presque secret ses accents les plus déchirants. Nul ne peut faire le salut d'autrui. Mais il y a du panache, parfois, à se persuader du contraire.
Jean-Paul Enthoven - Le Point du 23 aout 2007
Leur histoire a duré environ un an, puis une vie. Sa morale, la voici : l'amour est une vérité impossible, une avant-garde qui vieillit vite en pays ennemi, des phrases qui tombent sur des corps qui meurent. Le sang qui coule après, quand il est bleu, c'est de la tendresse. Celle de Victoria Ocampo pour Pierre Drieu la Rochelle, l'un des hommes qu'elle a le plus aimés, filtre l'agacement qu'il lui a inspiré. Il l'a souvent blessée ; elle a fini par le comprendre et en parle très simplement, comme un souvenir intime, quotidien, qui continue. Où ça ? Sur la page, évidemment : dans son autobiographie, dont les éditions Bartillat tirent ce chapitre, plus quelques lettres de l'un et l'autre, sous le titre : Drieu. La préface et les notes de Julien Hervier justifient l'ouvrage... L'engagement fasciste, sous Vichy, l'exaspère. Elle est en Argentine lorsqu'il se suicide, au printemps 1945, au gaz et au véronal. Elle lui survivra 34 ans, vivant des romances avec Roger Caillois et d'autres. Pourquoi donc a-t-elle aimé Drieu, cet homme qui ne se laissait pas aimer ? Mauvaise question. La bonne est : comment l'a-t-elle aimé ? «Je sacrifiai Drieu à Drieu. Ses imperfections et les miennes l'exigeaient (...) Les défauts de Drieu (opposés aux miens) m'obligèrent à l'aimer sans lâcheté.» C'est elle qui souligne.
Philippe Lançon - Libération du 20 septembre 2007
Tout cela, qui m'avait été raconté, il y a trente ou quarante ans, par Roger Caillois qui avait succédé à Drieu dans le coeur de Victoria après que Christiane Renault avait succédé à Victoria dans le coeur de Drieu, figure dans les chapitres que Victoria consacre à Pierre dans le cinquième volume de son autobiographie et que Bartillat vient de publier en français sous le titre Drieu, avec une préface de Julien Hervier. «Nous étions tous les deux perdus dans la forêt d'une cruelle époque de transition ; perdus dans notre solitude ; perdus, de manière différente, dans la question sexuelle ; perdus dans notre étrange vocation religieuse sans foi ; perdus dans notre amour de l'absolu et de la vérité absolue : païens mystiques privés de catacombes et de Dieu. Tout cela sur des chemins si opposés qu'à première vue n'émergeaient et ne s'imposaient que nos différences», écrit Victoria, qui se souvient de Dante. L'époque de transition, la solitude morale, l'amour de l'absolu et les chemins opposés précipiteront Drieu vers le fascisme et le suicide. «Tu perds la tête, Pierrot», lui dira Victoria.
Jean d'Ormesson de l'Académie française - Le Figaro du 20 septembre 2007
Source: www.alapage.com
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