Eduardo Mallea fait plus que raconter l'exil intérieur d'un solitaire: il fiche sa plume dans les tourments de l'Argentine
La maladie de l'âme est la vieille obsession de la littérature argentine. D'une encre sombre, elle dessine des paysages de haute solitude, ravagés par ce «sentiment tragique de la vie» dont parle Unamuno. Comme Roberto Arlt, Ernesto Sabato et tant d'autres spéléologues du vide existentiel, Eduardo Mallea (1903-1982) fut un maître du vertige qui signa une oeuvre débordante d'amertume. C'est en 1955 que la France découvrit Chaves, un joyau publié par Roger Caillois dans la collection La Croix du Sud, chez Gallimard. Un deuxième roman - La Barque de glace - sortit ensuite chez Grasset. Puis l'on oublia Mallea, qui s'en retourna danser avec les ombres sur des flots ténébreux dont il fut l'éternel naufragé.
Un ange noir plane sur ces Dialogues des silences, un récit fulgurant écrit au début des années 50. En moins de 100 pages, tout est dit: le mal d'être, le fiasco spirituel, la déroute des sentiments. Le héros, Pinas, est un frère de Meursault, un orphelin du bonheur qui vit cloîtré dans un appartement défraîchi de Buenos Aires, sous la lumière bleutée d'une aquarelle de Dufy. Pendant quelques jours, pourtant, il va croire au miracle: son ami Gerardo, qu'il n'a pas revu depuis dix ans, l'invite à des retrouvailles dans une lointaine province. Il s'y précipite. Enfin, il pourra briser les chaînes de sa solitude... Mais Gerardo n'est plus qu'une caricature de lui-même, un bourgeois superficiel, distant, «mince et épuré jusqu'à l'inhumain». Le retour dans la capitale argentine renverra Pinas à ses tourments et à son exil intérieur. Déchiré par «l'absurdité de toute chose et de toutes les choses», il s'embastillera dans un silence sans issue. Jusqu'à la folie.
Ce roman - desservi par une traduction parfois approximative - est un terrible huis clos, sous le signe du désastre. Avec, parfois, quelques éclaircies, quand Mallea peint l'Argentine profonde, ses montagnes à l'échine bleutée et ses champs noyés dans les «clartés sanglantes» du crépuscule. Mais on en reste là: c'est sur une sourde angoisse que se referme ce requiem de l'âme, où l'on redécouvre, quinze ans après sa mort, l'un des météores du roman latino-américain.
Dialogues des silences, par Eduardo Mallea. Trad. par Jean-Jacques Fleury. Autrement, 89 p., 59 F.
http://www.lexpress.fr/informations/requiem-pour-une-ame-malade_628335.html
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