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à propos de "Cicatrices"

Par larouge • Saer Juan Jose • Dimanche 19/07/2009 • 0 commentaires  • Lu 1295 fois • Version imprimable

L'Œuvre romanesque :
le temps certifié par les mots
L’originalité de l’œuvre de Saer est avant tout formelle et se manifeste dès ses premiers écrits. D’où, dans Cicatrices, publié en 1969, l’explication de Tomatis, sorte de double de Saer : « Il y a trois choses qui ont une réalité dans la littérature : la conscience, le langage et la forme. La littérature donne forme, à travers le langage, à des moments particuliers de la conscience. » Chaque roman réserve donc au lecteur sa surprise formelle nuancée par une familiarité immédiate avec des personnages et des lieux récurrents : retrouvailles avec Santa Fe, espace imaginaire dans lequel se situent la plupart des romans, et avec Barco, le journaliste Tomatis, le Mathématicien ou Pigeon Garay. La phrase saerienne épouse les élasticités temporelles de la conscience des personnages à la fois recevant des informations de leur environnement (présent) en même temps que soumise aux sollicitations de la mémoire ou au contraire des projets. [...]
source: www.ombres-blanches.fr/

Jean-Charles Gateau, Samedi 22 février 2003 Voici revenir dans une nouvelle traduction (la précédente était d'Albert Bensoussan) et avec un nouveau titre, Cicatrices (le précédent était Le Mai argentin), un roman de 1969 traduit en 1976 chez Denoël. Ce premier titre s'expliquait par allusion au Mai 68 français qui avait donné des ailes aux ouvriers, aux révolutionnaires et aux utopistes de tout poil. Rien de tel en Argentine: en 1969, le dictateur populiste Péron était en exil, et le pouvoir aux mains de l'armée et de ses gorilles ne laissait aucune perspective aux intellectuels et aux prolétaires.
S'il tient du behaviorisme de Hemingway le goût de décrire les comportements et de suggérer seulement les sentiments, Saer le fait avec un sens méticuleux du détail digne de Robbe-Grillet: voir le long jeu de carambolages au billard qui inaugure Cicatrices. Mais la structure dense fait pardonner cette lenteur un peu laborieuse. Quatre personnages monologuent, dialoguent et agissent (ou plutôt boivent), chacun dans un long chapitre.
Le premier retrace l'initiation à la vie adulte d'un jeune orphelin, Angel, qui cohabite avec une mère qui se prostitue, et qui, pistonné par un certain Tomatis, écrivain chargé d'une page littéraire, entre au journal pour y tenir les rubriques de la météo (qu'il invente largement) et des tribunaux. Angel admire la désinvolture de Tomatis et ses succès féminins. Le second chapitre met en scène un joueur obsessionnel qui perd toute sa fortune au jeu, y compris les économies de sa domestique. Le troisième évoque un juge solitaire qui s'échine interminablement à traduire le Portrait de Dorian Gray. Dans le quatrième, la violence fait irruption: un camionneur abat sa femme de deux coups de fusil dans la tête. Le meurtrier se suicidera dans le cabinet du juge. Aucun motif à ces gestes, sinon l'impossibilité de trouver un sens à la vie.
L'enchevêtrement dans le temps est complexe: le suicide de l'assassin est raconté dès le premier chapitre. Tout s'étale sur le premier semestre austral, de janvier à juin, avec ses pluies, ses brumes, son atmosphère glauque. Le brouillard de la Plata et le désœuvrement des héros répandent un vague ennui flaubertien dans une ville grise où l'on trompe son spleen avec le gin, le vin et les passades.
Pour aborder Lieu (Lugar, 2000), sautons une trentaine d'années. Le livre tresse vingt nouvelles de trois à quarante-deux pages. Son titre vient de l'épigraphe empruntée à Dante: «Le lieu créé pour le propre de l'espèce humaine» (Paradis, 56-57). Le vers précédent? «Là-haut, beaucoup est permis à nos facultés, qui ne l'est pas ici-bas en vertu du lieu», etc. Bref, le recueil flirte avec la métaphysique. Notre séjour terrestre obnubile nos facultés. Maintes nouvelles jouent sur cette infirmité. Beaucoup de leurs héros font, si l'on peut dire, des expériences d'outre-lieu, des dépaysements («Vers la nuit»), des réminiscences, des pressentiments, des absences à l'ici-bas, dont les rêves et les maladies mentales sont le cadre privilégié. Les psychiatres et d'étranges patients abondent. Ils sont nombreux à se désoler de nos limites, comme ce cosmonaute vieillissant qui piétina jadis la lune: «Que l'univers existe est certes mystérieux, mais que je sois en train de marcher dans cette soirée de printemps dans l'ombre des arbres l'est encore plus.»
Rassurez-vous, lecteurs, le cocktail n'est pas seulement «platonicien» (pour le dire courtement). Revoilà Tomatis projetant d'écrire le second polar en vers après Œdipe, en l'occurrence la résolution par un Sherlock Holmes archi-chenu d'une énigme énigmatissime: après sa mort, une infirmière aurait empoisonné seize nourrissons! Voilà le dialogue, place Vendôme, d'un griot sénégalais et d'un éboueur arabe, voici des corbeaux, des chats, des irradiés de Tchernobyl et le fantôme d'Hélène de Troie. Un livre bigarré, étonnant, d'une plume exigeante et sûre.
source: www.letemps.ch

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