Cendres
Eduardo Mallea
AUTREMENT
Néant ordinaire en Patagonie par Alexie Lorca Lire, février 1999
Le verbe pour dire le silence, l'écriture pour explorer les agonies d'êtres humains en quête d'eux-mêmes. Au long d'une œuvre romanesque magistrale qui demeure peu traduite en français, Eduardo Mallea (mort en 1982) se fit l'écho de personnages au bord de l'autisme, brûlés par le non-sens de leurs déserts intérieurs. Un peu à l'image de ces forteresses vides dont parlait Bruno Bettelheim.
Après Chaves et Dialogues des silences, les éditions Autrement publient Cendres. Considéré comme le chef-d'œuvre de l'écrivain argentin, ce roman a pour décor le nord de la Patagonie, où l'auteur naquit en 1903.
Une terre riche de promesses pour les aventuriers affamés de nouveaux horizons et propice au silence pour Agata, l'héroïne du roman. «Quelle est la valeur des mots?» s'interroge-t-elle. «Ils ne sont pas faits pour que nous nous expliquions, ni même pour que nous nous comprenions. C'est pour cela que certains saisissent ce que l'on appelle la poésie, parce qu'elle, elle ne s'adresse à personne. La poésie, ce sont des mots qui sont sur le point de renoncer. S'ils sont sauvés, c'est parce que, auparavant, ils ont renoncé à être eux-mêmes.» Amer constat que celui de cette femme de trente-cinq ans, en butte depuis l'enfance à ses propres ténèbres et à un destin qu'elle ne comprend pas. Jeune fille solitaire et mutique, elle épouse Nicanor Cruz, non par amour mais parce qu'il lui ressemble, et qu'il lui paraît possible de «construire une paix à partir de deux infortunes». Mais le seul dialogue que parviennent à ébaucher ces deux exilés du royaume des mots est un dialogue fait de silences, lourd d'amertume, de rancœur et bientôt de haine. L'aridité de la vie qu'ils mènent dans l'estancia de Nicanor n'a d'égal que celle de la nature environnante, dévastée par une sécheresse persistante. Une nature dans laquelle Chaves, le héros solitaire du roman du même nom, se fondait en une communion presque charnelle. Et qui devient dans Cendres le miroir de l'existence funeste et stérile d'Agata. Dès lors, la jeune femme n'est plus que soif, soif inassouvie d'un tout aux contours incertains, car «lorsqu'on attend le plus de la vie, c'est là que l'on sait le moins ce à quoi on aspire».
Ce désir pathétique engendre une violence d'autant plus incurable qu'elle est beaucoup moins physique que psychologique. Un thème récurrent dans l'œuvre de Mallea, peintre génial du néant ordinaire, qui n'eut de cesse de mettre en lumière la vanité et l'absurdité de toute condition humaine.
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