Comment vous donner envie de lire ce roman noir, histoire d’un braquage qui a défrayé la chronique argentine dans les années 1960, sans que vous détourniez votre regard en m’assurant que le polar ce n’est pas votre truc ? J’ai bien une petite idée. D’abord, il s’agit d’un roman d’un grand auteur argentin, Ricardo Piglia. Encore peu traduit en France (Argent brûlé et La Ville absente sont disponibles chez Zulma, Le Dernier Lecteur chez Christian Bourgois et Respiration artificielle chez André Dimanche), Ricardo Piglia est pourtant considéré comme l’un des auteurs majeurs de la littérature argentine : il a publié une douzaine de livres, est scénariste, critique littéraire… Ensuite et surtout, son roman Argent brûlé est une réussite tant au niveau du style que de l’histoire. Si les histoires de braquage ne sont pas votre sujet de prédilection, je vous garantis que vous passerez outre en vous laissant happer par l’écriture, la multiplicité des points de vue, des langages utilisés.
Ricardo Piglia a voulu raconter une histoire vraie, celle d’un braquage qui défraya la chronique entre septembre et novembre 1965 à Buenos Aires, en découpant cette tragédie humaine en trois actes : le braquage en lui-même, la fuite et le carnage final opposant la police aux malfaiteurs. Telle une tragédie, les protagonistes, quelle que soit leur stratégie pour échapper à la police, courent fatalement à leur perte. Le dernier acte est bien évidemment le plus violent mais aussi le plus passionnant.
L’originalité du roman relève de sa forme, du choix esthétique de l’auteur : Piglia s’est inspiré d’un fait divers et a voulu le retranscrire le plus fidèlement possible. C’est pourquoi, il a « respecté la continuité de l’action et (dans la mesure du possible) le langage de ses protagonistes et des témoins de l’histoire », nous apprend-il dans l’épilogue. De plus, il a eu accès aux enregistrements secrets de la police ce qui lui a permis d’avoir un matériau sûr pour bâtir son histoire.
Toutefois, ne croyez pas que Piglia se substitue au journaliste : au contraire, pour complexifier son histoire linéaire, il multiplie les points de vue, passant de celui d’un braqueur à celui d’un témoin oculaire ou d’un policier. Il aime également à insérer des micro-récits permettant de connaître un peu mieux tel ou tel personnage. Argent brûlé, malgré son sujet, est un roman psychologique : le narrateur tente de comprendre la personnalité de ses protagonistes, de décrire ce qui les pousse à agir… On se passionne (au sens étymologique du terme) pour Bébé Brigonne, Gaucho Dorda, Malito ou Mereles le Corbeau. L’ambiance des bas-fonds de Buenos Aires rappelle celle décrite longuement dans Le Journal du Voleur de Genet. On retrouve la solidarité, la misère, l’inversion des valeurs, l’homosexualité… Mais contrairement à Genet, Piglia ne connaît pas ce milieu de la pègre et c’est donc avec un regard extérieur qu’il retranscrit les scènes du quotidien. Le lyrisme a fait place au réalisme. Le dernier acte est cependant beaucoup plus émouvant. Quand sonne la dernière heure, les pages se veulent pathétiques : on voudrait arrêter la marche inéluctable vers le drame final mais on sait que ce n’est pas possible. Les braqueurs sont décidés à ne pas se rendre, les policiers sont massés autour de l’immeuble… Ce n’est plus l’argent dérobé qui a de l’importance mais la liberté.
Un très beau roman, adapté au cinéma par Marcelo Piñeyro, Vies brûlées.
source: www.lalettrine.com/article-argent-brule-ricardo-piglia-51804576.html
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