CONVERSATION
Quelque chose d'Alberto Manguel
LE MONDE DES LIVRES | 07.10.04 | 18h32
Né en Argentine, écrivant en anglais, l'auteur vit en France et publie une libre promenade entre les littératures.
Parce qu'il écrit avec fluidité sur les sujets qui, par d'autres, seraient traités avec pesanteur, on est irrépressiblement tenté de prolonger la lecture des essais d'Alberto Manguel par une conversation. Lecteur raffiné, soucieux de faire partager ses passions avec précision, il a circulé dans toutes les cultures. Pour des raisons biographiques, il a été mis en contact avec plusieurs langues. Et quand on s'étonne que, maîtrisant celle de notre pays où il vit désormais (près de Poitiers), il persiste à user d'une de ses langues d'adoption, l'anglais, il rappelle que son choix est le fruit d'une réflexion, plus que celui de la facilité.
Elevé en Israël par une nounou tchèque qui parlait allemand et anglais, il n'est venu que tardivement à l'espagnol, qui aurait dû être sa langue maternelle. Et il a découvert que cette deuxième langue était pour lui celle d'une traduction. "Mes idées me venaient en anglais et j'essayais de trouver une forme espagnole. Je suis convaincu que la langue primaire, celle dans laquelle nous apprenons à nommer les choses, est celle qui forme aussi notre façon de penser. Mon espagnol est un peu contaminé par cet anglais. Je continue à trouver malcommode le surplus d'adjectifs, d'adverbes qui peuvent exister en espagnol et qu'en anglais on appelle "purple prose", expression qui, du reste, n'a pas d'équivalent en espagnol !"
Mais le statut linguistique de l'œuvre d'Alberto Manguel est un épiphénomène. Plus bizarre est sa situation d'écrivain qui hésite entre la fiction conçue comme un apologue philosophique, l'essai entendu comme une fiction ou plutôt un tissu de fictions, et la recherche présentée comme un délicieux divertissement : "Je n'ai jamais voulu être écrivain. Je me suis aperçu que les livres que j'aimais étaient d'une qualité telle que je n'arriverais jamais à écrire de cette façon, comme Conrad ou Racine par exemple. Je devais me contenter d'être lecteur. Je ne savais pas qu'être lecteur ne se limitait pas à lire. J'ai publié anthologies, préfaces, critiques, commentaires. Et de là, je suis passé à des livres particuliers, mais dont le point de départ demeurait la lecture. Et même ma fiction vient du fait que je suis lecteur. Je ne voudrais pas écrire un livre que je n'aimerais pas lire."L'ÉNIGMATIQUE BUENOS AIRES
Son Journal d'un lecteur (traduit par Christine Le Bœuf, Actes Sud, 256 p., 21,90 €) témoigne de ce "plaisir du texte" dont parlait Roland Barthes : l'érudition, omniprésente, n'est que l'alibi d'une libre promenade entre les littératures. On est ravi de lire la médiévale Japonaise Sei Shônagon à travers le filtre de Barbara Pym. Et de retrouver Machado de Assis dans Muriel Spark. Chaque mois est dominé par la lecture d'un livre ou d'un auteur-clé : de l'Invention de Morel, de son compatriote Bioy Casares, aux Affinités électives, en passant par Chateaubriand, Cervantès et Conan Doyle. Ce voyage littéraire se double d'un voyage géographique, avec, pour centre décentré, l'énigmatique Buenos Aires, creuset cosmopolite dont il regrette la vitalité perdue. "Cet esprit cosmopolite se sentait encore dans les années 1960. C'était cosmopolite dans le meilleur des sens. Quand ma grand-mère voulait insulter quelqu'un, elle le traitait de cosmopolite. Cela signifiait qu'il n'avait pas d'attache : il n'avait juré fidélité à rien ni à personne, il appartenait à tout le monde. Pour elle, c'était une insulte. Elle venait de Russie. Pour les Argentins, le monde entier était à leur portée. On était argentin, mais la littérature universelle était argentine aussi."
Georges Piroué, auteur de Mémoires d'un lecteur heureux (éd. L'Age d'homme, 1997), ouvrage qui n'est pas sans rapport avec la démarche de Manguel, disait qu'il aurait volontiers emprunté à Rudyard Kipling le titre de son autobiographie : Quelque chose de moi. Dans sa brève biographie, Kipling (traduit par Christine Le Bœuf, Actes Sud, 128 p., 12,80 € ), Alberto Manguel souligne l'étrange relation que l'auteur du Livre de la jungle entretenait avec les éléments factuels de sa vie : "Un aperçu de certains détails de son existence qu'il acceptait de faire connaître à son public." Kipling, auteur-culte, a été, malgré son Nobel de 1907, "minorisé" dans la littérature : "Notre première autorité sur ce qui est de second plan", disait Oscar Wilde. Manguel trace avec élégance la genèse d'une inspiration qui s'est maintenue au seuil du fantastique et du politique, avant que l'abbaye de Westminster n'accueille ses cendres "dans le coin des poètes", lieu tout à la fois institutionnel et secret.
René de Ceccatty
Alberto Manguel
Alberto Manguel est né à Buenos Aires en 1948. Il est aussitôt emmené en Israël où son père est nommé ambassadeur. Il revient en Argentine en 1955 et suit des cours dans une école écossaise. Il vit dans plusieurs pays, mais prend la nationalité canadienne, enseigne et publie en langue anglaise. C'est avec Une histoire de la lecture (1998), traduite en trente-six langues, qu'il obtient une très grande notoriété. Outre son œuvre d'essayiste (Dictionnaire des lieux imaginaires, 1998, Livre d'images, 2001), il est l'auteur de nombreuses anthologies et de brefs récits (Stevenson sous les palmiers, 2001, Chez Borges, 2003) dont l'essentiel est traduit chez Actes Sud, où il dirige la collection "Cabinet de lectures".
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.10.04
Commentaires
Re: Alberto Manguel
par larouge
le Mercredi 09/09/2009 à 13:03
bonjour malyre !
Re: Alberto Manguel
par lalyre
le Vendredi 11/09/2009 à 12:06
Marouge....
Re: Alberto Manguel
par lalyre
le Samedi 12/09/2009 à 10:43
Et voila ma rouge ,j'ai réussi à insèrer ma chronique ,je crois même l'avoir envoyé deux fois .Impossible de mettre l'image. |
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Bonjour Larouge
Je viens de terminer la lecture du dernier Manguel,j'ai fait le résumé et si cela t'interesse,dis-moi si je peux le placer à la rubrique de l'auteur....
Bisous
Lalyre