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à propos (2) de "Tous les hommes sont menteurs"

Par larouge • Manguel Alberto • Mardi 06/10/2009 • 0 commentaires  • Lu 959 fois • Version imprimable

  • Currently 5/5

Note : 5/5 (1 note)

Brouilleur de pistes

Par Par Rocco Zacheo
Depuis sa bibliothèque personnelle, Alberto Manguel s’est imposé comme le conteur d’un rapport amoureux aux livres. Son nouveau roman étonne encore.
Genre: Roman
Réalisateurs: Alberto Manguel
Titre: Tous les hommes
sont menteurs
Todos los hombres son mentirosos
Langue: Trad. d’Alexandra Carrasco
Studio: Actes Sud/Leméac, 203 p.

S’il fallait concevoir une catastrophe imaginaire, qui priverait soudainement ce bas monde de livres et de bibliothèques, il faudrait mettre Alberto Manguel dans la liste des victimes collatérales majeures. Parce que des étagères encombrées de volumes, des écrivains et de leur univers créatif, mais aussi des lecteurs, avec leurs manies et leurs rituels, l’auteur d’origine argentine a tiré les piliers sur lesquels repose son œuvre foisonnante. Tantôt dans le rôle d’éditeur, tantôt dans celui d’essayiste ou de romancier, Manguel n’a cessé de décrire et de célébrer le rapport étroit et mystérieux qui unit la littérature et tous ceux qui la consomment, comme lui, avec passion. Bibliophage immodéré, cet auteur polyglotte qui réside désormais en France a coloré de son érudition gourmande et joyeuse des ouvrages qui ont marqué les esprits.

Un parmi tant, Une Histoire de la lecture, ouvrage monumental paru il y a dix ans, l’a révélé comme formidable conteur d’une histoire personnelle, d’une expérience avec les textes qui traverse plusieurs siècles et touche à ces centaines d’auteurs qu’il côtoie depuis sa vaste bibliothèque personnelle. Alberto Manguel rappelle en cela Borges, pour lequel il a d’ailleurs été un jeune lecteur à Buenos Aires. L’essayiste flamboyant laisse aujourd’hui la place au romancier, mais le filon qui a fait sa fortune résiste, comme toujours, au changement de registre. Avec Tous les hommes sont menteurs, on entre dans un labyrinthe inquiétant dont on ne voit l’issu qu’aux dernières phrases. Et l’histoire trouble, vibrante et irrésistible qu’a imaginée Manguel est, une fois encore, ancrée dans le monde littéraire.

Au centre du récit, un écrivain argentin, Alejandro Bevilacqua. A son actif, un roman, un seul, que tous ou presque s’accordent à considérer comme un chef-d’œuvre. Ce personnage élégant et profondément mélancolique connaît un destin tragique: il est retrouvé mort dans une flaque de sang sur un trottoir de Paris. Que lui est-il arrivé? C’est ce que Manguel essaie de reconstituer en adoptant une forme polyphonique. Divisé en cinq parties, Tous les hommes sont menteurs fait intervenir cinq personnages qui ont côtoyé, de près ou de loin, l’écrivain décédé. Tous témoignent et chacun apporte des clés de lecture qui désarçonnent à chaque fois le lecteur. A tour de rôle, un ami, un officiel de l’armée transformé en tortionnaire, une victime de la dictature en Argentine, un journaliste, recomposent un puzzle et agencent les pièces d’un scénario impensable. Là réside le tour de force de Manguel qui, à chacune des articulations de son roman, rend caduques les évidences les plus tenaces. En maître du contre-pied, l’auteur brosse ainsi le portrait d’un homme, Alejandro Bevilacqua, dont les apparences cachent un mensonge inavouable, une imposture qui causera sa perte.

Haletant et concis, porté par une langue limpide, le roman côtoie sans jamais l’adopter complètement le registre policier. C’est que son auteur, là encore, se délecte à brouiller les pistes avec une réussite bluffante. Il s’inclut, par exemple, dans ses pages pour parler d’un écrivain qui n’a jamais existé. Il fait appel aux jugements d’Enrique Vila-Matas, romancier bien vivant, pour donner forme au fantomatique Bevilacqua. Mais, surtout, il plonge dans une dimension documentaire lorsqu’il parle de l’histoire récente de l’Argentine, celle endeuillée par la dictature. Ces passages, sans doute les plus impressionnants du roman, relatent l’emprisonnement et la torture qu’a endurés Bevilacqua avant son exil en France. Manguel décrit et décrypte alors cette machine diabolique et parfaitement huilée qui vise à extorquer aux prisonniers des aveux. Et ici, le ton sobre et la précision analytique font immédiatement penser à Jean Améry, qui mieux que d’autres a évoqué la main tortionnaire de la dictature dans son Par-delà le crime et le châtiment.

Tous les hommes sont menteurs dévoile ainsi une ambition beaucoup plus vaste que la simple élucidation du fait divers annoncé dans ses premières pages. Son architecture polyphonique est là pour dérouter, pour épaissir l’identité trouble d’un homme, Alejandro Bevilacqua, qu’on peine à saisir entièrement. Les cinq voix du roman nous rapprochent certes du personnage. Dix autres n’auraient pas suffi pour comprendre sa vraie nature. Alberto Manguel nous laisse avec cette seule certitude.

source:81.27.130.64/Facet/print/Uuid/447ef0ee-9993-11de-bf66-506975c5b3b5/Brouilleur_de_pistes
 

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