LITTÉRATURES
L'univers délirant de César Aira
Géographie insolite
Article paru dans l'édition du 25.11.05
Difficile de trouver une étagère où poser les livres de l'Argentin César Aira : romans ? Oui, encore que le mot « contes » puisse convenir aussi. Mais du genre onirique ? Comique ? Surréaliste ? Satirique ? Tragique, même ? En tout cas, complètement singuliers, comme leur auteur, un quinquagénaire ironique dont les ouvrages parlent, à leur manière, d'un pays (l'Argentine, le Panama) ou d'un quartier (Flores, banlieue de Buenos Aires), sans avoir jamais l'air d'être exactement là où ils prétendent être : comme s'il s'agissait d'éclairer l'étrangeté de cette vie soi-disant réelle qu'Aira ne cesse d'observer autour de lui. Considéré comme l'un des auteurs les plus importants d'Argentine, Aira est un écrivain prolixe - trop peut-être - et désinvolte, dont les textes possèdent une saveur particulière, poétique, acide et hautement rebelle à l'ordre établi.
Sa subversion consiste soit à inventer des lieux de toutes pièces, comme il le fait dans la délicieuse Princesse Printemps, soit à placer des endroits concrets sur l'orbite de sa propre imagination. A commencer par Flores, où il vit depuis des années, « quartier de classes moyennes, sans histoires et sans mystères, neutre en somme, où tout est à créer », expliquait-il, lors d'un récent passage à Paris.
RÉBUS DÉMESURÉ
C'est là que se promènent les personnages des Nuits de Flores, contraints par la crise à livrer des pizzas de nuit, jusqu'au moment où ils perceront par hasard le secret d'un couvent pas très catholique. Entraînés dans ce faubourg à la curieuse topographie en damier, constellé de sens interdits, les individus sont livrés à un jeu de pistes géant. Un rébus démesuré, dont on retrouve la trace dans Varamo, quoique d'une autre manière, à travers la quête d'identité d'un « commis aux écritures de troisième classe ».
Tout est en miroir, vrai et faux à la fois, drôle et effrayant, à cheval entre le jeu et l'horreur. « Je ne refoule rien », constate Aira, pour qui le travail du romancier consiste surtout à mettre du « vraisemblable » dans une réalité complètement délirante - et non l'inverse. Jour après jour (au rythme d'une page par heure et par jour), ses romans s'inspirent de la vie qui va, grappillant ici et là une information ou une scène qu'il recycle à sa manière. Avec, toujours, une propension à faire rire dont il feint de se dire fâché : « Tous les écrivains que j'aime sont sérieux et j'ai un penchant pour le tragique », affirme-t-il - sans sourire, naturellement.
Raphaëlle Rérolle
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