Sebastián Murillo est journaliste au Comahue, quotidien patagon. Lorsqu’il assiste à la fin d’une poursuite en voiture dans laquelle il semble que les policiers ont cherché à éliminer les suspects, il se prend à rêver qu’il tient là un sujet qui lui permettra de quitter son rôle de grouillot affecté à l’actualité culturelle pour intégrer enfin la rubrique des faits divers. Il décide donc de se lancer dans une enquête qui s’avère rapidement plus dangereuse qu’il ne le pensait. Pour preuve, il meurt dans un accident de voiture suspect. Alejandro, son collègue et ami, et Juan Bermúdez, journaliste expérimenté et désabusé, décident de faire la lumière sur cette affaire qui révèle rapidement un important réseau de corruption impliquant police, criminels et le gouverneur lui-même. Si pour Raúl Argemí, comme pour Juan Bermúdez, le polar ce sont des « histoires dures, où la vie n’est rien de plus que ce qu’elle est d’ordinaire, un vomi de chien sur le trottoir », alors le pari est réussi. Car la vie ici n’a pas toujours beaucoup de prix et il n’y a pas grand monde qui y semble finalement très attaché. Mais pas seulement. Car sinon, Argemi s’en serait tenu à un roman noir désabusé d’une facture très classique. Il n’oublie pas, dans cette Argentine gangrénée par la corruption et où les usages de la dictature ne sont pas qu’un mauvais souvenir, de mettre en exergue d’autres valeurs. Humour, amitié indéfectible et art de vivre argentin sont aussi de la partie. En effet, aussi sombre et désespérée que soit la situation, les protagonistes n’hésitent pas à tout stopper le temps d’un maté ou d’une partie de pêche suivie d’un bon repas. C’est aussi cette fausse indolence qui fait le charme du roman d’Argemí. Plus que d’enquête, on peut parler ici de quête : Juan cherche finalement, en tentant de mettre la main sur le coupable du meurtre de Sebastián et de le châtier, à retrouver sa fougueuse jeunesse révolutionnaire. En s’alliant de nouveau à ses amis guerilleros, vieillis mais toujours alertes, et en formant Alejandro, il réécrit son histoire et le roman que, justement, il n’arrive pas à écrire. Cette confrontation avec les scories du passé argentin – flics et militaires corrompus, truands bien introduits auprès du gouvernement – bien que sombre, se fait aussi sur le ton de l’humour. La longue scène de l’assaut de la carrière et la poursuite qui s’ensuit, aussi haletante que burlesque est à ce titre bien représentative du ton de ce roman. Après une première partie sèche, violente, l’histoire accélère, décolle et nous entraîne jusqu’à un dénouement explosif et étonnant. Les morts perdent toujours leurs chaussures est un livre d’un optimisme désespéré, un roman grinçant à la mécanique bien huilée. Une belle réussite. Raúl Argemí, Les morts perdent toujours leurs chaussures, Rivages/Noir, 2007. Traduit par Jean-François Gérault.
source: http://encoredunoir.over-blog.com/5-categorie-11933820.html
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