BD : la flamboyante Patagonie de Jorge González
BANDE DESSINÉE - CHRONIQUE
La Patagonie fascine. Le Musée du Quai Branly vient de lui consacrerune exposition marquante, tandis que le marcheur David Lefèvre publie le volumineux récit de sa traversée de la région… Mais c’est un auteur de bande dessinée argentin installé depuis quinze ans à Barcelone qui lui rend l'hommage le plus flamboyant.
Avec Chère Patagonie, Jorge González signe une somme : 288 pages furieusement crayonnées. Cette fresque historique commence en Terre de Feu en 1888 et s’achève de nos jours à Buenos Aires. Au commencement, dans ce paysage de western austral, Gonzálezconstruit son récit comme Sergio Leone à la grande époque : en imbriquant d’énigmatiques bribes de vie. Le dessinateur cadre large. Ses cieux rageurs, ses éléments déchaînés, qui évoquent souvent Turnerou les premiers aventuriers de l’abstraction, soulignent la petitesse de l’homme, l’insignifiance de son existence. Mais, avec le temps, ses silences retentissants laissent la place au bruissement des villes, au bavardage des feuilletons radiodiffusés, puis télévisés. Le dessin se fait lui aussi plus volubile, à mesure que l’histoire devient plus personnelle. L’Argentin esquisse ainsi d’un même trait le destin de six générations et un siècle et demi de techniques de représentation.
Pourtant, ce qui l’obsède, c’est l’irreprésentable. Ce qui le hante, ce sont les fantômes des Yamanas et des Onas, les Amérindiens décimés par les balles et les microbes occidentaux, ou le sort des Tehuelches et des Mapuches, qui tentent de survivre à l’obsession européenne, ici explicitement associée au nazisme, de les effacer, de gommer la plus infime de leurs traces. D’une puissance graphique peu commune, les brèves scènes muettes où il dépeint leurs rites ont également le mérite de les rendre inoubliables.
François Mauger
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